« La grève. Perspectives analytiques et usages contemporains »

Colloque
Amphi de l’École Normale Supérieure, 48 boulevard Jourdan, 75014 Paris

Comité d'organisation : Pauline Grimaud (CSO), Gabriel Rosenman (CMH), Chloé Lebas (Ceraps), Carlotta Benvegnù (Cresppa-CSU – Lest), Saphia Doumenc (Triangle), Etienne Pénissat (CMH), Eve Meuret-Campfort (Cresppa-CSU), Baptiste Giraud (Lest-Irisso), Karel Yon (IDHE.S)

Soutiens institutionnels : RT 18 de l'AFS (Relations professionnelles), CMH, projet ANR Citindus, Triangle, IDHE.S, Ceraps et Cresppa-CSU.


L’actualité sociale de ces dernières années a été marquée par de nombreux conflits sociaux de grande ampleur, comme en témoigne la massive mobilisation contre la réforme des retraites entamée en janvier 2023. Ces luttes se sont déployées aussi bien à l'échelle interprofessionnelle (grèves contre la Loi Travail en 2016 et contre la réforme des retraites en 2019 et 2023) qu'à celle des entreprises (grève des cheminot·e·s en 2018, grèves de postier·e·s, grèves pour les salaires face à l’inflation). Elles ne sont pas cantonnées à la France puisqu'on les retrouve dans des pays, comme les États-Unis ou la Grande-Bretagne, qui se sont pourtant distingués par une extrême dérégulation du droit du travail et des politiques anti-syndicales et anti-grèves virulentes. De plus, ces grèves ont parfois pu se déployer en dehors des « bastions traditionnels » du mouvement ouvrier, à l'image des grèves des femmes de chambre, des ouvrier·e·s du secteur logistique, des livreurs·euses « ubérisé·e·s », des travailleurs·euses sans-papiers de la restauration ou de la construction. Enfin, la mobilisation de l'imaginaire de la grève hors du champ économique, par les mouvements féministes (grève des femmes contre les inégalités de salaires ou le travail domestique) et écologiques (grèves contre l'inaction climatique des gouvernements), témoigne a minima d'une certaine revitalisation politique et symbolique de cette modalité d'action.

Si elle n’a pas disparu, la grève apparaît cependant moins au cœur du répertoire d'action ouvrier et syndical depuis les années 1970 qu’elle ne l’était auparavant. Les usages de la grève se sont difficilement adaptés aux nouvelles contraintes économiques, légales et idéologiques qui caractérisent le capitalisme contemporain. Les restructurations du système productif et l'éclatement des collectifs de travail, l'affaiblissement des organisations syndicales et le durcissement des dispositifs légaux (restriction du droit de grève dans le privé, « service minimum » dans le public), ont contribué à la diminution du recours à la grève dans les économies occidentales. En France, par exemple, les grèves sont tendanciellement moins massives, plus souvent défensives et concentrées sur quelques secteurs (la fonction publique, les anciennes entreprises publiques de transport, quelques grandes entreprises de l'industrie).

Cette double dynamique est donc paradoxale. Elle nous invite à tirer le bilan des approches scientifiques de la grève et à étudier conjointement la continuité du répertoire d'action syndical et le renouvellement des pratiques grévistes. De ce point de vue, la grève a fait l'objet de nombreuses enquêtes ces dernières années, en mobilisant plusieurs approches disciplinaires et théoriques. Si l'impact économique de la grève et son lien avec les cycles économiques ne sont plus au centre des controverses scientifiques, en revanche de nombreux auteur·ice·s proposent un renouvellement des perspectives analytiques en repositionnant la grève comme principal instrument politique et symbolique de contestation ; en interrogeant les dynamiques de la grève à partir des concepts de la sociologie du travail et de la sociologie politique ; en lui appliquant des grilles de lecture féministes ou intersectionnelles pour la repenser à partir de ses marges. L'implication de nouveaux secteurs du salariat invite à interroger les frontières sociales de la pratique gréviste : qui fait grève et sous quelles conditions ? L’émergence de nouveaux acteurs grévistes peut donner l’image de mouvements spontanés, éruptifs, alors même que les formes imbriquées de domination et les obstacles matériels à surmonter sont toujours plus nombreux. Ces nouvelles figures de la grève invitent plutôt à penser les efforts politiques des organisations syndicales et des collectifs militants : quelles sont les stratégies et les ressources déployées pour favoriser la grève ? Identifier des formes de réactivation de l'apprentissage de la grève n'empêche pas d'observer également sa moindre centralité comme mode d'action des classes populaires. Les mouvements d'« occupation de places » en Espagne et dans les révolutions arabes ou le mouvement des Gilets Jaunes, basé principalement sur l'occupation des ronds-points et des grands axes routiers, en sont une illustration. Se pose alors la question de l'articulation de la grève avec ces modes d'action adaptés aux contraintes économiques et sociales qui contraignent les classes populaires mais qui leur offrent également des opportunités nouvelles de bloquer les flux économiques et de contester l'ordre social et politique. A l'inverse, la diffusion du vocabulaire de la grève aux modes d'action féministes et écologiques interroge les processus de réinvention pratique et d'extension symbolique de la grève.


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